Histoire du lieu

«J’ai mis d’abord les gens, ensuite les meubles autour des gens, ensuite les murs autour des meubles. C’est dans cet ordre-là que la maison a été construite.»

— Extrait de Les images oubliées de Germaine Tillion, documentaire de François Gauducheau - 2001

La Maison Germaine Tillion est située en Bretagne Sud, à Plouhinec (56), entre la rade de Lorient et la ria d’Étel. En bordure d’une zone classée Natura 2000 et du circuit de randonnée GR34, le site offre une visibilité remarquable sur les étendues d’estran et les bandes dunaires classées Grand Site de France. Ses espaces naturels d’un hectare bordent le marais Lann Dreff et la Petite mer de Gâvres, site ornithologique remarquable placé sur les voies de migration de certaines espèces d’oiseaux.

C’est en 1973 que Germaine Tillion fait construire cette maison à quelques encablures du bourg de Plouhinec. Elle y vivra jusqu’en 2004. Pendant 30 années, au rythme de ses séjours à la belle saison, elle agence et cultive un terrain encore vierge d’intervention humaine. Avec l’aide de jardiniers complices, elle architecture les espaces naturels, dessine des chemins, édifie des murets en pierre, plante des arbres fruitiers, cultive un potager et fait grandir de nombreux rosiers… Plutôt qu’un Éden solitaire, sa maison se veut un lieu partagé avec de nombreuses personnes: sa soeur, ses nièces, ses ami·es du village ou d’ailleurs ainsi que ses étudiant·es sont régulièrement invité·es. Car, dès sa construction, la maison est pensée comme un lieu pour recevoir.

À la fin de sa vie, Germaine Tillion cède sa propriété au Conservatoire du littoral avant de disparaître à l’orée de ses 101 ans. Quelques mois plus tard, l’association Maison Germaine Tillion se constitue pour faire vivre la maison et la mémoire de Germaine Tillion. Dès 2011, l’association organise des pique-niques à la fin du mois de mai, à la date anniversaire de Germaine Tillion, et ouvre la maison lors des Journées Européennes du Patrimoine. Pour ces événements, le parc est à chaque fois entièrement nettoyé par la commune et les membres de l’association. En dix ans, diverses manifestations ont ainsi été organisées par l’association Maison Germaine Tillion à Plouhinec ou dans les communes voisines: expositions, conférences, spectacles, témoignages, etc.

À l’initiative de la Ville de Plouhinec et du Conservatoire du littoral, la Maison Germaine Tillion a été réhabilitée en 2023 et 2024 pour devenir une résidence d’artistes et un lieu culturel destiné à la sensibilisation aux enjeux de biodiversité. Aujourd’hui, le site entremêle des patrimoines et matrimoines naturels et culturels, matériels et immatériels, que C.A.M.P et ses partenaires ont la chance et la responsabilité de cultiver.

Germaine Tillion / biographie

«Chacun voit dans l’autre ce que l’autre ignore.»

— Germaine Tillion, 1966

Ouverture au monde

1907

Née en Haute-Loire, Germaine Tillion est initiée aux voyages, à l’écriture et à la curiosité humaniste par son père, juge de paix et musicien, et par sa mère, écrivaine, tous deux rédacteurs des Guides bleus.

1932

Diplôme de l’Institut d’Ethnologie. Étudie plusieurs champs des sciences humaines.

Dans les Aurès

1934

Elle embarque pour l’Algérie et entame un imposant travail de recherches ethnologiques. Durant six ans, au cours de longues missions, elle vit sobrement au coeur du Massif de l’Aurès, où elle noue des relations durables et constantes avec les paysans chaouis. Elle intègre le CNRS et développe sa thèse : Une république du sud-aurésien.

Résistance et déportation

1940

De retour à Paris, elle est scandalisée par la reddition de la France. Elle contribue à créer l’un des premiers noyaux de Résistance aux missions multiples, embryon du Réseau du Musée de l’Homme-Hauet-Vildé.

1942

Germaine Tillion et sa mère Émilie sont emprisonnées à Fresnes, pour faits de Résistance.

1943

Elles sont déportées séparément, au camp de Ravensbrück. En dépit du danger et des conditions de vie atroces, l’ethnologue chercheuse s’efforce de déchiffrer le fonctionnement du camp. Elle soutient moralement ses camarades en écrivant avec elles, une opérette ironique.

Œuvrer pour la vérité...

1945

Juste avant la libération du camp par la Croix-Rouge suédoise, sa mère est assassinée dans la chambre à gaz. Dans les années qui suivent, Germaine Tillion se consacre à l’étude de la Résistance et de la Déportation. Elle cherche à garantir les droits des membres de son réseau et des femmes déportées, tout en livrant une enquête globale sur les camps de concentration, notamment soviétiques. Elle représente les anciennes déportées aux procès des fonctionnaires de Ravensbrück. Par la suite, elle écrira l’un des ouvrages les plus précis qui soit sur le système concentrationnaire.

...Et rétablir le dialogue

1954
1962

Envoyée en mission en Algérie par le Ministère de l’Intérieur, dès le début du soulèvement, elle déplore la «clochardisation» des paysans contraints à l’exode rural. Dans le cadre de l’Éducation nationale et s’inspirant d’initiatives locales, elle crée le Service des Centres Sociaux, qui dispensera dès 1955, soins médicaux, accompagnement social et formations diverses aux communautés les plus démunies. Bien plus tard, Germaine Tillion dira que, de toutes les choses qu’elle avait faites, les centres sociaux algériens étaient ce qui lui tenait le plus à coeur… Cependant, face à la violence du conflit franco-algérien, Germaine Tillion oeuvre également à la réconciliation : elle milite sans trêve contre les exécutions, la torture et les attentats. Elle enquête, publie, alerte l’opinion publique et les responsables politiques, elle plaide et témoigne aux procès. Au coeur de la guerre d’indépendance et du processus de décolonisation algérien, elle devient une intermédiaire inlassable entre ceux qu’elle nommera les «ennemis complémentaires».

Recherches et engagements

1959

Directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études (aujourd’hui EHESS), elle y enseigne jusqu’en 1980.

1961

Mandatée par l’OMS, elle voyage sur le pourtour méditerranéen, du Maghreb à l’Extrême-Orient. Elle entreprend et publie des recherches sur l’Afrique saharienne, incontournables références de l’ethnologie arabo-berbère, en particulier concernant la condition féminine.

1973

Elle acquiert cette parcelle au fond de la Petite mer de Gâvres. Elle y crée son «jardin alimentaire», dessine et fait construire sa maison pour accueillir ses amis de tous horizons : résistants, déportés, étudiants, chercheurs, et écrivains, Maghrébins, habitants de Plouhinec et d'ailleurs… Tous reçus avec la même simplicité par cette personnalité entière et conviviale. Ce havre de paix, éloigné de sa résidence francilienne (elle venait en vacances à Plouhinec depuis 1966), sera propice à la réflexion et l’écriture… Ici la scientifique remaniera ses ouvrages laissés en suspens, de par sa vie mouvementée, et rédigera de nombreux essais ethnologiques, suscitant l’intérêt d’un public grandissant.

2008

Germaine Tillion s’éteint avant 101 ans. Après avoir soustrait des personnes à la peine de mort, son engagement social se poursuivit dans le soutien aux sans-papiers et le développement de l’enseignement dans les prisons. Elle laisse une oeuvre écrite passionnante, au style juste et fin (souvent perçue comme atypique par ses pairs) et qui rend compte, avec une rigueur toute scientifique, de notre histoire contemporaine.

2015

Germaine Tillion entre au Panthéon aux côtés de son amie Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui l’avait décorée de la Grand-croix de la Légion d'honneur quelques années auparavant.

Germaine Tillion © Aldo Soares
Germaine Tillion © Aldo Soares

Quelques ressources

Pour plus d’informations sur Germaine Tillion, rendez-vous sur le site de l’Association Germaine Tillion www.germainetillion.fr

Podcasts

  • Germaine Tillion, L’héroïne, Jean Lacouture, France Culture. 1997
    Composé de cinq parties Une curiosité pour le monde, Patriote et résistante, L’arrivée dans le camp de Ravensbrück, et L’Algérie et la conciliatrice.

  • Avoir raison avec… Germaine Tillion, Perrine Kervran, France Culture. 2021
    Composé de cinq parties Une ethnologue qui résiste, Une ethnologue à Ravensbrück, Une ethnologue dans la guerre d’Algérie, Une ethnologue féministe, Une ethnologue avec le sens de l’humour.


Vidéos d’archives

  • De nombreuses ressources ont été mises à disposition du public sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA)

  • Germaine Tillion par elle-même, documentaire réalisé par l’association Germaine Tillion, 2020
    Le documentaire réalisé par l’Association Germaine Tillion est composé des parties La jeunesse, L’ethnologue dans le siècle, La résistante et la déportée, Le retour dans l’Algérie en guerre, Une inlassable présence au monde, Germaine Tillion entre au Panthéon.


Ouvrages de Germaine Tillion

  • L’Afrique bascule vers l’avenir, éd. de Minuit, 1960
  • Le Harem et les cousins, éd. Points, 1966 (réédité en 2015) Ravensbrück, éd. Seuil, 1997
  • Il était une fois l’ethnographie, éd. Points, 2000
  • L’Algérie aurésienne, avec Nancy Wood, éd. La Martinière, 2001
  • À la recherche du vrai et du juste, éd. Seuil, 2001
  • Les Ennemis complémentaires Guerre d’Algérie, éd. Tirésias, 2005
  • Une opérette à Ravensbrück – Le Verfügbar aux Enfers, éd. Points, 2007
  • La Traversée du Mal, éd. Arlea, 2015
  • Fragments de vie, textes rassemblés par Tzvetan Todorov, éd. Points, 2015

Certains livres sont disponibles en audio aux éditions Frémeaux & Associés.


Ouvrages sur Germaine Tillion

  • Jean Lacouture, Le témoignage est un combat, éd. Seuil, 2000
  • Nancy Wood, Germaine Tillion, une femme mémoire d’une Algérie à l’autre, éd. Autrement, 2003
  • Tzvetan Todorov (dir.), Le Siècle de Germaine Tillion, éd. Seuil, 2007
  • Jeanne Teisson, Germaine Tillion. Un long combat pour la paix, éd. Glyphe, 2020
  • Lorraine de Meaux, Germaine Tillion. Une certaine idée de la résistance, éd. Perrin, 2024

Albums jeunesses sur la figure de Germaine Tillion

  • Janine Teisson (textes), Carole Gourrat (ill.), Germaine Tillion, un long combat pour la paix, éd. Oskar Jeunesse, 2014 (à partir de 11 ans)
  • Marilyn Plenard (textes), Michel Backes (ill.), Germaine Tillion, la vie comme un combat, éd. A dos d’âne. 2017 (à partir de 10 ans)

Le monde dans un jardin

«Ce qui m'a rendue lucide, c'est l'ethnographie. Elle m'a faite, dès le départ, respectueuse de la culture des autres. Chacune est un jardin clos destiné, paradoxalement, à communiquer avec les autres. Il faut en entrouvrir les portes et y garder, toujours, un coin de mauvaises herbes.»

— Germaine Tillion (1907-2008)

Ce site littoral protégé abrite de nombreuses espèces d’oiseaux sédentaires et migrateurs.

Vous remarquerez peut-être la variété d’ambiances entre ce jardin et ses alentours. Entouré, à l’est, de parcelles agricoles et de forêts, ce jardin est bordé, à l’ouest, par le Marais du Dreff avoisinant des prairies humides et, au sud, par la Petite mer de Gâvres, marais maritime peu profond au pied du massif dunaire océanique de Gâvres à Quiberon.

Cet ensemble forme une mosaïque de milieux, résultat combiné de processus naturels et de multiples et séculaires interventions humaines.

Dans cette diversité d’habitats, un nombre important d’oiseaux de mer, d’oiseaux d’eau et de limicoles cohabitent avec les passereaux et les rapaces… Certains vivent ici à l’année, nichant et se reproduisant, tandis que d’autres migrent à chaque printemps ou chaque automne, reliant ce site littoral aux continents européen, africain, asiatique et américain.

Dans le cadre de ses travaux de recherche et de ses missions sociales, Germaine Tillion séjourna longuement dans les régions méditerranéennes, sahariennes et orientales.

L’ethnologue, patiente et opiniâtre analyste des sociétés humaines, oeuvra sur le terrain, jusque dans les versants les plus sombres de l’histoire du XXème siècle, pour épauler voire épargner la vie des personnes.

Si elle choisit ce havre au fond de la Petite mer, c’est pour le même amour du vivant, ici, végétal et animal. Elle transforma ce terrain dégarni en un écrin verdoyant, foisonnant et diversifié.

Quelques espèces d’arbres et de fleurs témoignent encore de ses voyages. Venez sur place pour les identifier !

Jardin de Germaine Tillion © Enora Floc'h
Jardin de Germaine Tillion © Enora Floc'h

Provenance des oiseaux hivernants

Groenland • Islande • Irlande • Grande Bretagne Norvège • Danemark • Suède • Finlande • Allemagne Pologne • République tchèque Slovaquie • Slovénie Russie (Sibérie)


Provenance des oiseaux estivants

Portugal • Espagne • Maroc • Mauritanie • Sénégal Îles atlantiques


Pays d’études de Germaine Tillion

Algérie • Tunisie • Maroc • Libye • Egypte Mauritanie • Sénégal • Mali • Niger • Burkina Faso Liban • Syrie • Jordanie • Israël • Iran • Irak • Pakistan • Inde Canada • Allemagne (avant sa déportation) • Belgique


Les textes de la section «Biographie» et «Le monde dans un jardin» ont été écrits par Kizzy Sokombe pour le Conservatoire du littoral. D’autres textes sont à retrouver sur place. L’auteur et le Conservatoire du littoral remercient chaleureusement pour leur aide à la documentation et la relecture: l’association Germaine Tillion (Paris), en particulier Mme Nelly Forget, l’association Maison de Germaine Tillion (Plouhinec), les gardes du littoral du Syndicat mixte Dunes Sauvages de Gâvres à Quiberon, l’association Bretagne vivante, la mission Natura 2000 de Lorient Agglomération, l’OPLB et l’INALCO pour les traductions respectives en Breton et Chaoui.