L'art de traverser les frontières (thème 2026)
Durant toute sa vie, Germaine Tillion a démontré son attachement à écouter et comprendre les populations humaines qui lui étaient étrangères. Elle a incarné, dans les faits autant que dans les mots, un engagement résolu à défendre l’humanité dans son extrême et fabuleuse diversité.
— par Quentin Rioual, co-directeur artistique de la Maison Germaine Tillion
Germaine Tillion releva par exemple que, par-delà leur origine géographique ou leur religion, les paysannes et les paysans du bassin méditerranéen partageaient davantage un nombre inouï de points communs.
Dans la lignée de ses combats contre la barbarie du régime nazi, pour la libération des prisonniers coloniaux, pour l’accès à l’éducation dans les prisons, pour la solidarité avec les migrant·es et les Sans-Papiers, contre la montée de l’extrême droite lepéniste, C.A.M.P à la Maison Germaine Tillion désire, en 2026, prolonger l’appel à un art de résister (2025) en art de traverser les frontières. Dans un contexte guerrier et inhumanitaire inouï, la Maison Germaine Tillion accueille donc cette année des artistes, des journalistes ainsi que des chercheuses et des chercheurs engagé·es pour défendre la liberté de circulation, le droit à la dignité de tout être humain et la diversité du monde vivant.
Le geste de traverser les frontières vaut ici et partout car, comme le disait l’ethnologue dès 1970, « le racisme commence à notre porte ». Cette violence, ajoute Germaine Tillion, détruit la personne qui la reçoit comme la personne qui la provoque. Il en va de même pour le mépris et la violence à l’égard des femmes, des personnes homosexuelles, des personnes transgenres, des classes populaires, des gens des villages... De même que personne ne mérite d’être dévalorisé comme « plouc » ou « beauf » parce que son lieu de vie ou ses goûts ne conviennent pas à quelqu’un, personne ne mérite de subir la domination du regard ou du corps de l’autre.
Traverser, c’est donc faire le lien, aller de part en part, faire le chemin de bout en bout. C’est choisir le bateau qui peut aller d’une rive à l’autre, plutôt que celui qui reste à quai. Mais qui manœuvre le bateau et qui décide du quai ? Car, en même temps que notre connaissance d’autres villes, pays et continents s’est accrue par une diversité de moyens (la télévision, la littérature, le tourisme…), force est de constater que cette « ouverture sur le monde » n’est pas un droit partagé par toutes et tous à l’échelle du monde comme à l’échelle d’un hameau.
Ce droit à circuler comme à accueillir celles et ceux qui se déplacent suppose donc encore un combat pour une égalité qui ne connait pas de frontières. Or, les frontières sont partout, même là où il n’y a pas de douane. Nous nous sommes habituées à certaines frontières qui nous rassurent, qui nous protègent, parfois aussi qui nous empêchent d’ouvrir les yeux, d’aller à la rencontre, voire de vivre avec plus d’intensité.
Un art de traverser les frontières serait donc un art qui, allant de frontières en frontières, d’un bout à l’autre d’une frontière, va à la découverte du dégradé qui parfois transforme un chemin en limite, une mer en mur et un port en fort. Alors, comme un symbole, le grillage et les poteaux de béton entourant la Maison Germaine Tillion ont été retirés fin 2025. La traversée des frontières ne fait que commencer. Et avec elle, on l’espère, l’histoire d’un ruisseau qui irriguera le monde depuis Plouhinec, et irriguera Plouhinec depuis le monde !